Né en 1871 à Moscou, mort le 22 juillet 1921 à Carlsbad (Tchécoslovaquie) où il était en cure.

Les Morozov étaient une des plus célèbres dynasties marchandes de Russie dont le fondateur Sava Morozov (1770/1862), un artisan paysan, donna naissance à 4 branches de l’industrie textile. La manufacture de cotonnades de Tver était devenue une société indépendante au temps d’Abram (1839/1882) et de David (1843/1893), les derniers propriétaires en ayant été Varvara Morozov et son fils Ivan Abramovitch.

Ivan Abramovitch Morozov était une personnalité en vue des milieux commerciaux et artistiques de Russie. C’est seulement en 1900 qu’il quitta Tver, une ville provinciale où il était, depuis 1892, directeur de la société des manufactures, pour s’installer définitivement à Moscou, 21 rue Pretchistenka (ancienne maison Potemkine).

Il entreprit d’abord de collectionner les toiles de peintres russes mais se rendait chaque année à Paris à la recherche de chefs-d’oeuvre. Il devint très vite un habitué des galeries d’art moderne (Vollard, Bernheim-Jeune, Durand-Ruel…) et des expositions (Salon d’Automne…). En 1903 il achète chez Vollard son premier artiste étranger : SISLEY « Gelée à Louveciennes » (huile sur toile de 1873 , aujourd’hui au musée Pouchkine de Moscou).

Il semble que l’exemple de son frère aîné Mikhaïl, lui aussi collectionneur, fut contagieux.

Toutefois, de tempérament flegmatique, Ivan ne ressemblait ni à son frère Mikhaïl, impétueux et aimant le risque, ni à son frère cadet Arséni, un peu excentrique. Ivan se vouait presque exclusivement aux usines textiles, alors que ses deux frères cherchaient à dépenser les sommes énormes dont ils avaient hérité.

Dans ses achats de peintures, et contrairement à Serguei Chtchoukine, autre grand collectionneur et mécène russe, Ivan se montrait toujours prudent et strict, redoutant les extrêmes, tout ce qui était instable ou en gestation. Il n’éludait jamais les conseils de peintres moscovites aussi notoires que Valentin Serov, Constantin Korovine et Sergei Vinogradov, lequel avait été le conseiller principal de son frère Mikhaïl, mort prématurément en 1903. Les tableaux de ces peintres faisaient d’ailleurs également partie de la collection Morozov, où les œuvres d’artistes russes vivants tenaient une place nullement négligeable.

Si les paysages dominent dans la collection Morozov, c’est parce qu’il avait pour ce genre une prédilection venant, d’une part, de ses conseillers, peintres paysagistes et, de l’autre, des leçons que, dans sa jeunesse, il avait prise avec son frère aîné auprès de Constantin Korovine. Par la suite faisant ses études à l’Ecole Polytechnique Supérieure de Zurich, Ivan Morozov continua de peindre à l’huile des paysages pour se détendre.

Ivan Morozov ne chercha jamais à attirer l’attention de la presse et de la critique. Il répugnait à exhiber sa collection.

Cependant, la réputation du collectionneur Morozov avait tôt franchi les frontières. Il fit surtout parler de lui en 1906, lorsqu’il prêta ses toiles russes à Serge Diaghilev pour l’exposition « deux siècles d’art russe » que ce dernier avait organisé au Salon d’Automne de Paris. Cela valu à Morozov d’être élu membre d’honneur du Salon et décoré de la Légion d’Honneur. Depuis ce moment, plus d’une trentaine de toiles firent leur entrée chaque année rue Pretchistenka. Ivan Morozov, que Vollard appelait « le russe qui ne marchande pas », était un client bienvenu dans les galeries parisiennes, aux enchères et expositions de toute sorte. On sait qu’il pouvait se permettre de dépenser 200 000 à 300 000 francs par an pour les tableaux, une somme qui était à la portée de peu de musées en Europe (par exemple, il acheta chez Durand-Ruel pour un quart de million de francs de tableaux).

Ivan Morozov était soucieux de montrer les principales étapes de l’art contemporain et de représenter chaque peintre de la façon la plus complète.

Et Morozov aborda dans le même esprit, en 1905, l’aménagement d’une galerie de peinture dans son hôtel particulier, le bâtiment principal d’un domaine datant des années 1840. A sa demande, l’architecte Lev Kékouchev conféra à l’enfilade de pièces du premier étage un strict aspect de musée, supprimant toutes les moulures et tapissant les murs d’un tissu gris et neutre. Quant au toit, on y avait installé une verrière, au travers de laquelle la lumière diurne entrait comme dans les musées dignes de ce nom.

Concevant sa collection comme un ensemble « d’œuvres et non pas de noms », Morozov pouvait attendre pendant des années le tableau destiné à représenter tel ou tel peintre. Morosov possédait cinquante toiles d’impressionnistes, dont Monet, Renoir, Pissaro et Degas. La génération suivante était surtout représentée par Van Gogh, Cézanne et Gauguin les œuvres de ce dernier ayant fait leur entrée rue Pretchistenka après la rétrospective du peintre au Salon d’Automne de 1906. L’œuvre préférée de Morozov était la nature morte « Pèches et Poires » de Cézanne. En 1907, Ivan Morozov commanda à Maurice Denis une décoration murale pour la salle de concert de son hôtel ; ces cinq panneaux de « l’histoire de Psyché » peints pour Morozov furent exposés au Salon d’Automne de 1908.

Par la suite, c’est à Pierre Bonnard que Morozov commanda le triptyque « Méditerranée » pour l’escalier principal de son hôtel.

L’hôtel Morozov recevra les visites de Maurice Denis puis en 1911 de Henri Matisse. Ce dernier évoquait Ivan Morozov en disant : « Morozov, un colosse ruse, possédait une usine employant plus de 3000 ouvriers et était marié à une danseuse ».

En 1918, Ivan Morozov avait acquis pas loin de 200 toiles d’impressionnistes étrangers.

En dépit de la guerre, rien n’avait changé à l’hôtel Morozov, sinon pendant les premiers mois de la révolution quand Ivan Morozov fit ranger ses toiles dans un entrepôt blindé.

Les évènements prirent une telle tournure dans la Russie soviétique que dès 1918 les anciens possédants n’eurent plus que le recours de s’enfuir pour sauver leurs vies.

La collection d’Ivan Morozov fut nationalisée par décret de Lénine le 19 décembre 1918. La maison Morozov de la rue Pretchistenka et la collection qu’elle abrite deviennent “deuxième musée de la peinture occidentale moderne”.

Pendant quelques mois, Ivan Morozov sera conservateur adjoint de sa propre collection (tâche qui consistait à guider les visiteurs dans les salles).

C’est eu printemps 1919 qu’il quittera définitivement la Russie pour ne jamais y revenir. Il s’installera à Paris à l’hôtel Majestic puis 4 square Thiers.

Il décède à Carlsbad, le 22 juillet 1921 sans avoir revu sa collection.

En 1922, les deux musées (celui de Chtchoukine et celui de Morozov) sont réunis en une seule entité « Musée d’état de l’art occidental moderne » et regroupés dans le palais Morozov en 1928. Entre 1930 et 1934 une partie des œuvres est transférée au musée de l’Ermitage de Leningrad. Deux toiles de Morozov (« Madame Cézanne dans la serre » de Cézanne et « Café de nuit » de Van Gogh) sont cédées à une galerie américaine dans le cadre de la campagne de cession des œuvres des musées russes contre des devises.

Pendant la seconde guerre mondiale, les collections du musée furent évacuées à Novossibirsk, un voyage pénible qui ne pouvait manquer de laisser des traces sur les chefs-d’œuvres. Ensuite, de retour à Moscou, les toiles restèrent longtemps dans leurs caisses. On approchait de 1948, année des plus tragique pour l’art et la culture soviétique, qui vit débuter la lutte contre le « cosmopolitisme » et toutes les manifestations de formalisme. Catégories où se trouvaient reléguées toutes les tendances de la peinture moderne depuis l’impressionnisme.

Ce n’est que par le plus heureux des hasards que ne put être mis à exécution le projet du Département des musées du Comité pour les affaires artistiques : disperser les toiles dans les musées de province, en détruire même certaines, et ne garder dans les musées de la capitale que les meilleures œuvres (à leur entendement).

En 1948 suite à la fermeture du musée (qui l’était depuis 1941), les toiles sont arbitrairement réparties entre les musées de l’Ermitage de Leningrad et le musée Pouchkine de Moscou.

Les collections de Chtchoukine et Morozov restèrent longtemps invisibles. Il fallu attendre les grandes expositions de peintures françaises, à Moscou en 1955 et à Leningrad en 1956, pour qu’une partie des tableaux soit montrée en permanence. Au milieu des années soixante, on put enfin voir la quasi-totalité des collections, quoique sans mention des anciens propriétaires à qui la Russie devait de posséder ces joyaux de l’art moderne.

Source : « Matisse et la Russie » de Natalia Semionova et Albert Kostenevich, éditions Flamarion.

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